L'activité du bailleur à métayage
est-elle une activité professionnelle
au regard de l'impôt de solidarité sur la fortune ?

Mise à jour: 1er juillet 2007
 

  1. En faveur de la qualification professionnelle:

- En matière d'IGF, la Cour de cassation a jugé expressément que le bailleur à métayage devait être considéré comme exerçant une activité professionnelle au sens de l'article 885 N ancien (Cass. com. 15 juillet 1987, n° 85-11.728, de Certaines: Droit Fiscal 1987, comm. 2282).

La Cour de cassation censurait alors un Tribunal pour avoir retenu que le redevable ne justifiait pas qu'il exerçait une activité régulière continue et effective sur les terres données en métayage, ce qui s'opposait à la qualification de biens professionnels, alors " que constituent des biens professionnels au sens de l'article 885 N du CGI les biens nécessaires à l'exercice d'une activité dont les revenus relèvent de la catégorie des bénéfices agricoles et que tel est le cas des revenus des immeubles dépendant d'un domaine agricole exploités par le propriétaire en métayage ".

Dans le même sens: Cass. com. n° 88-12760/N, Guyot, épouse Sicard: Droit Fiscal 1989, comm. 1571: En refusant d'admettre la qualification professionnelle d'un ensemble forestier au motif que l'activité professionnelle doit être effective et suppose de la part de celui qui l'exerce un rôle de gestion devant absorber une partie de son temps, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, Mme Sicard ayant recours aux services d'une société coopérative agricole pour les travaux nécessaires à l'exploitation des forêts, "alors que constituent des biens professionnels au sens de l'article 885 N du CGI les biens nécessaires à l'exercice d'une activité dont les revenus relèvent de la catégorie des bénéfices agricoles et que tel était le cas des revenus d'un massif forestier exploité par son propriétaire au travers d'une société coopérative agricole, le Tribunal a violé le texte susvisé ".

- L'administration a semblé faire sienne cette interprétation de la loi fiscale dans sa documentation officielle (D. adm. 7 S-3311, n° 18, 1er octobre 1999):

Les biens ruraux donnés en bail à métayage sont considérés comme des biens professionnels s'ils répondent à la définition donnée par l'article 885 N du CGI dès lors que le bailleur doit être considéré comme un exploitant agricole.

En outre:

- La loi fiscale considère, implicitement mais nécessairement, le bailleur à métayage comme un exploitant agricole (article 63 du CGI combiné à l'article 77, en matière de bénéfices agricoles; article 298 bis combiné à l'article 260.D de l'annexe II, en matière de TVA).

- La jurisprudence fiscale considère constamment le bailleur à métayage comme un exploitant agricole voire comme une personne exerçant la profession d'agriculteur (CE 30 juin 1982, Plén. n° 23726 et 23727: Droit Fiscal 1983, n° 8, comm. 288 ; CE 26 octobre 1983, 7è et 9è s.-s., n° 36822: Droit Fiscal 1984, n° 9, comm. 427 ; CE 29 juillet 1998, 8è et 9è s.-s. n° 193445, SA Champagne Moët et Chandon: Droit Fiscal 1998, n° 51, comm. 1148 ; Cass. com. 18 février 1997, n° 359 P: RJF 5/97, n° 495).

Mise à jour: CA Dijon 7 mars 2006 n° 05/01114:

"Il est constant que les vignes litigieuses sont données en métayage; ...il n'est pas contesté que les revenus perçus à ce titre par l'intimée sont imposés dans la catégorie des bénéfices agricoles et qu'ils constituent la majorité, voire l'intégralité de ses ressources;
"...l'imposition des revenus d'un domaine rural au titre des bénéfices agricoles établit le caractère professionnel de ce domaine si son exploitation constitue l'essentiel de l'activité économique du contribuable ou lui procure la majorité de ses ressources;
"...il suffit pour conférer au domaine la qualité de bien professionnel que les revenus procurés par celui-ci, dans le cadre du contrat de métayage, constituent la majeure partie des ressources du contribuable, ce qui est le cas en l'espèce;
"...le domaine litigieux étant nécessaire à l'exercice, à titre principal, d'une activité agricole le tribunal a, à bon droit, estimé qu'il devait être considéré comme un bien professionnel".

et Cass. com. 26 juin 2007, n° 06-15133 : L'imposition des revenus d'un domaine rural au titre des bénéfices agricoles établit le caractère professionnel de ce domaine si son exploitation constitue l'essentiel de son activité économique du contribuable ou lui procure la majeure partie de ses ressources ; après avoir relevé que les revenus procurés par le domaine viticole, dans le cadre du contrat de métayage, étaient imposés au titre des bénéfices agricoles et constituaient la majeure partie des ressources du contribuable, l'arrêt retient à bon droit que ce domaine, nécessaire à l'exercice, à titre principal, d'une activité agricole, devait être qualifié de bien professionnel.

  2. En sens contraire, il est parfois soutenu, et jugé (TGI Châlons-en-Champagne 28 août 1996, rôle 1621/95, inédit ; TGI Reims 31 octobre 2001, n° 375, inédit), que l'activité de bailleur à métayage ne peut être considérée comme professionnelle, au regard de l'ISF, qu'à certaines conditions (accomplissement d'actes précis ou de diligences réelles caractérisant l'exercice d'une profession, exercice d'une activité régulière, continue et effective, de nature à procurer à celui qui l'exerce le moyen de satisfaire aux besoins de l'existence, exercice effectif de l'activité supposant, de la part de celui qui l'exerce, un rôle de gestion devant absorber une partie de son temps…).

Par arrêt du 20 octobre 2003 (n° 685, Ch. civ. 1ère section), la Cour d'appel de Reims a confirmé le jugement rendu le 31 octobre 2001 par le Tribunal de Grande Instance de Reims:

" En application des dispositions de l'article 885 N du code général des impôts, les biens ruraux donnés en bail à métayage doivent être considérés comme des biens professionnels lorsqu'ils sont nécessaires à l'exercice, à titre principal, par le propriétaire ou son conjoint d'une profession agricole. L'imposition des revenus d'un domaine rural au titre des bénéfices agricoles ne peut donc établir le caractère professionnel de ce domaine que dans la mesure où son exploitation constitue l'essentiel de l'activité économique du contribuable, en d'autres termes sa profession principale, ce qui n'est pas le cas en l'espèce, M. X… ne contestant pas qu'il est retraité et que toutes les activités agricoles sur le domaine dont il est propriétaire sont effectuées par son métayer.
" Cette analyse est en totale concordance avec la doctrine administrative qui explique que " les biens ruraux donnés en bail à métayage sont considérés comme des biens professionnels s'ils répondent à la définition donnée par l'article 885 N du CGI dès lors que le bailleur doit être considéré comme un exploitant agricole ", doctrine interprétée de manière erronée par M. X… lorsqu'il explique, par un raccourci extrêmement rapide, que la qualité d'exploitant agricole résultant du statut fiscal du bailleur à métayage signifie nécessairement que ce bailleur exerce une profession agricole ".

  3. La jurisprudence de la Cour de cassation a évolué. Sous l'arrêt Cass. com. 8 mars 2005, n° 02-13373, publié au BICC 621, n° 1165, figure la note suivante:

L'article 885 N du Code général des impôts énonce : "les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, tant par leur propriétaire que par le conjoint de celui-ci, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale sont considérés comme des biens professionnels."

La question se pose donc de savoir comment définir l'exercice d'une profession ?

Par le passé, la chambre commerciale avait caractérisé l'exercice effectif de la profession agricole par l'imposition des revenus afférents aux biens litigieux dans la catégorie des bénéfices agricoles (Com., 10 mai 1989, Bull., n° 147).

Ultérieurement, elle avait considéré qu'une profession, au sens de l'article précité, était caractérisée par l'exercice d'une activité constituant l'essentiel de l'activité économique de la personne concernée ou lui procurant la majeure partie de ses revenus (Com., 24 novembre 1992, Bull., n° 372, Com., 27 juin 1995, Bull., n° 195).

Mais, chacune de ces définitions montrant ses limites à la lumière de la diversité des cas d'espèce soumis aux juges du fond, la chambre commerciale a, par son arrêt du 8 mars 2005, souhaité s'écarter d'un critère de définition unique pour laisser à ces derniers la possibilité de recourir à un faisceau d'indices dans la détermination, au cas par cas, de la nature professionnelle de l'activité.

Mais attendu que sont considérés comme biens professionnels au sens de l'article 885 N du Code général des impôts, les biens nécessaires à l'exercice, à titre principal, d'une profession industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale ; qu'au cas particulier, par motifs propres et adoptés, la cour d'appel a constaté, qu'à l'époque considérée, les parcelles litigieuses, d'une superficie totale inférieure à un hectare, n'étaient cultivées qu'en partie, certaines étant en friche, une autre bâtie d'une maison d'habitation entourée d'un terrain parfaitement entretenu, et les autres très partiellement exploitées par des cultures potagères et des arbres fruitiers ; qu'elle a relevé que si M. X... avait déclaré des bénéfices agricoles au titre de l'une des deux années concernées par les redressements d'impôt de solidarité sur la fortune, cette déclaration n'avait été faite qu'après la notification desdits redressements, et n'avait porté que sur une somme de 10 000 francs ; qu'elle a également retenu que, selon les affirmations non contestées de l'administration, M. X... n'avait pas justifié de l'existence d'une clientèle, de son inscription à un organisme professionnel, et de la présence de matériel agricole lors du contrôle effectué ; que, dès lors, elle a pu déduire de ce faisceau d'éléments, nullement limité, comme le prétend la première branche du moyen, à la seule constatation de l'insuffisance des revenus agricoles déclarés par M. X..., que celui-ci ne rapportait pas la preuve de l'exercice d'une profession agricole.

  4. Discussion des arrêts de la Cour de cassation:

- Cass. com. 24 novembre 1992, n° 90-20874, Crts Bich): " Attendu qu'une profession au sens de ce texte [art. 885 N ancien du CGI] est caractérisée par l'exercice d'une activité qui constitue l'essentiel de l'activité économique de la personne concernée ou lui procure la majeure partie de ses revenus ".

La Cour ne reprend pas le critère de la qualification fiscale des revenus pour définir le caractère professionnel d'une activité. Le Tribunal avait refusé la qualification professionnelle d'un domaine viticole ayant retenu que l'exploitation avait été mise en gérance et que la propriétaire ne saurait prétendre exercer une activité régulière continue et effective d'exploitante agricole, ne justifiant d'aucun acte ou de diligences réelles caractérisant la pratique d'une profession, hormis la commercialisation de la production de l'exploitation. Le jugement est cassé au motif qu'il résultait des propres constatations du Tribunal " que le préposé salarié ne faisait que participer à la gestion de l'exploitation tandis que Mme Bich assurait seule la commercialisation et que, dès lors, Mme Bich exerçait effectivement l'activité d'exploitante agricole qui constituait l'essentiel de son activité économique ".

- Cass. com. 27 juin 1995, n° 93-18816, Fabre: Droit Fiscal 1995, n° 42, comm. 1985: Alors qu'un GFA avait loué son domaine par bail à métayage, l'arrêt énonce qu'il " n'avait plus d'activité agricole puisqu'il avait remis l'exploitation de son domaine à des tiers ".

La question est alors de savoir si la Cour de cassation approuve ici l'idée qu'un bailleur à métayage n'exerce pas une activité agricole. C'est le sens apparent de cette décision dont l'interprétation est toutefois rendue difficile par le fait que la discussion s'est trouvée placée sur le terrain de l'article 885 N du CGI alors qu'il s'agissait de parts de sociétés de personnes dont le régime, au regard de l'ISF, est réglé par l'article 885 O, du moins lorsque les parts elles-mêmes ne constituent pas des biens nécessaires à l'exercice d'une profession. Or, selon ces dernières dispositions, il ne suffit pas que la société exerce une activité de caractère professionnel, il faut encore que le redevable exerce dans cette société son activité professionnelle, laquelle, dans ce cas, ne peut bien sûr se déduire de la nature fiscale des revenus qu'il tire de la société puisque tout associé de société de personnes se trouve imposé dans la catégorie de revenu correspondant à l'activité de la société.

- Cass. com. 6 octobre 1998, n° 1489 D, Varenard de Billy : RJF 1/99, n° 106; Droit Fiscal 1998, n° 48, comm. 1056: "au regard de l'article 885 N… l'imposition des revenus du domaine rural au titre des bénéfices agricoles n'établit le caractère professionnel de ce domaine que dans la mesure où… son exploitation constitue l'essentiel de l'activité économique du contribuable ou de son conjoint ou bien lui procure la majeure partie de ses ressources ".

Dans l'arrêt de Certaines, il n'était pas douteux que, pour la Cour de cassation, le fait, pour le propriétaire d'un domaine rural, de le donner par bail à métayage constituât par nature l'exercice d'une activité. Comme le notait le commentateur de l'arrêt à la revue de Droit Fiscal, la question de savoir si le bailleur collabore avec son métayer pour assurer conjointement la direction et la marche de l'exploitation, ou bien s'il se borne à recueillir sa part de produits du domaine sans intervenir dans la gestion, question de fait, était indifférente.

La notion d'exploitation du domaine, utilisée dans l'arrêt du 6 octobre 1998 a-t-elle un sens plus restrictif ? En faveur d'une réponse positive, on fait valoir le fait que la Cour de cassation justifie la décision du tribunal d'exclure le caractère professionnel du vignoble pour avoir constaté qu'il était donné à métayage, par le fait que son propriétaire ne participe pas à son exploitation et qu'il a, par écrit, reconnu exercer à titre principal une activité autre. Et d'en conclure que, si la participation à l'exploitation n'était pas une condition de l'exonération, la Cour de cassation n'aurait pas repris cet argument pour justifier la décision du Tribunal.

Mais on peut aussi considérer que la Cour de cassation énonce ici, non pas trois circonstances dont chacune suffirait à exclure l'exonération, mais un ensemble de circonstances ayant permis au Tribunal d'exclure l'exonération. Et ces circonstances se rapportent toutes à la condition de l'exercice d'une profession à titre principal. La formulation même de l'arrêt démontre que la question posée au cas d'espèce n'était pas de savoir si l'activité de bailleur pouvait constituer une activité professionnelle, mais si elle constituait son activité principale. Le fait de constater que le domaine était loué par bail à métayage et que son propriétaire ne participait pas à l'exploitation, ce qui conduit à penser que l'activité déployée à ce titre était réduite, s'ajoutant aux propres déclarations du contribuable ayant reconnu par écrit exercer une autre activité à titre principal, sans l'avoir par la suite ni démenti ni contesté, a été jugé suffisant pour justifier l'exclusion de l'exonération.

D'autres considérations conduisent à considérer l'arrêt du 6 octobre 1998 comme la confirmation de la jurisprudence de Certaines.

En premier lieu, la Cour avait déjà eu recours à la notion d'exploitation pour désigner l'activité du bailleur, parlant, dans l'arrêt de Certaines des " immeubles dépendant d'un domaine agricole exploités par le propriétaire en métayage ". Or, il a déjà été démontré que la Cour de cassation ne signifiait pas par là que le bailleur collaborait avec son métayer à la mise en valeur agricole desdits immeubles. L'exploitation était prise ici dans un sens économique, désignant tout usage d'un bien en vue d'en tirer un profit.

En second lieu, la Cour précise que la doctrine administrative invoquée, savoir le paragraphe 44 de l'instruction administrative 7 R-1-89 n'apporte aucun accommodement aux dispositions de l'article 885 N. Or cette doctrine revient manifestement à affirmer que le bailleur à métayage exerce, es qualité, la profession d'exploitant agricole. Si la Cour de cassation estimait que le bailleur à métayage n'exerce pas une activité professionnelle au sens de l'article 885 N, elle n'aurait pu déclarer que cette doctrine n'apportait aucun accommodement.

- Cass. com. 12 janvier 1999, n° 130 P, Pingard: RJF 4/99, n° 500): rejet du pourvoi dirigé contre un jugement ayant refusé l'exonération de forêts procurant à leur propriétaire retraité de faibles revenus relevant de la catégorie des bénéfices agricoles.

Logiquement, l'application des principes dégagés par la Cour de cassation dans l'affaire de Certaines aurait dû conduire le juge à accepter la qualification de biens professionnels. Les revenus relevaient de la catégorie des bénéfices agricoles. Certes ils ne constituaient pas la majeure partie des ressources du contribuable mais au contraire une infime partie. Mais ils constituaient visiblement sa seule activité économique (quoique vraisemblablement réduite). Les juges avaient justifié leur décision d'exclure la qualification de biens professionnels en définissant la profession comme l'exercice, à titre habituel et constant, d'une activité de nature à procurer à celui qui l'exerce les moyens de faire face aux besoins normaux de l'existence, et non simplement d'une occupation alors qu'en l'espèce l'exploitation des 456 ha de forêt ne dégageaient que des revenus extrêmement modestes, voire nuls, établissant à l'évidence la démonstration que ces revenus ne permettaient pas d'obtenir des moyens habituels, constants et normaux pour satisfaire aux besoins de la vie et sans doute au train de vie des intéressés. La Cour de cassation juge le motif erroné, mais surabondant, dès lors que le redevable, qui se présentait comme industriel retraité, n'établissait pas qu'il exerçait à titre principal l'activité d'exploitant forestier, alors que, prétendant avoir omis de ranger les biens litigieux parmi ses biens professionnels, il lui incombait de justifier qu'étaient réunies les conditions d'exonération.

Il est difficile de tirer des enseignements certains de cette décision de rejet dans la mesure où la Cour de cassation n'écarte explicitement aucun argument que le contribuable aurait pu présenter à l'appui de sa demande d'exonération, mais situe le débat sur le terrain de la preuve.


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