La récolte pendante

Mise à jour: 1er décembre 2008
 


Avant la récolte, les fruits des arbres non encore recueillis (selon l’expression figurant à l’article 520 du code civil) sont immeubles et leur propriété se confond avec celle de la vigne. Dès qu’ils sont détachés, ils sont meubles (article 520 Code civil). C’est alors seulement qu’ils sont des fruits et qu’ils sont des stocks.

Cette affirmation péremptoire doit être nuancée [1], puisqu’il est acquis que les récoltes sur pied peuvent faire l’objet de vente qui opère, au moins inter partes, un transfert immédiat de propriété au profit de l’acheteur, qui en devient propriétaire à ses risques et périls [2]. Il s’agit d’une vente de biens meubles par anticipation, valable pour autant que le vendeur a la capacité de disposer des fruits dont s’agit [3].

Il faut donc admettre que la récolte sur pied est susceptible d’une appropriation distincte de l’immeuble avant son détachement physique. Elle peut d’ailleurs faire l’objet d’une saisie dans les six semaines qui précèdent sa maturité [4]. Le débiteur saisi doit être propriétaire de la récolte, « peu importe qu'il soit propriétaire du fonds, locataire, fermier, métayer ou usufruitier, il faut et il suffit que les fruits lui appartiennent » [5].

Au plan fiscal, l’article 72 A du CGI, impose depuis le 1er janvier 1984, de comptabiliser en stock les avances aux cultures, évaluées au prix de revient (et ceci dans le but de rétablir la signification économique des bilans, mise à mal par l’article 2 du décret n° 76-903 du 29 septembre 1976 proscrivant une telle inscription et prescrivant la déduction intégrale des dépenses correspondantes au titre de l’exercice de leur réalisation).

Comment appréhender juridiquement et fiscalement la récolte pendante lorsqu’un changement d’exploitant intervient en cours d’année culturale ?

En l’absence de locataire:

• La règle est explicite en présence d’un démembrement de propriété de l’immeuble :

Les fruits pendants pas branches [ou par racines] au moment où l’usufruit est ouvert, appartiennent à l’usufruitier (article 585). Ceux qui sont dans le même état au moment où finit l’usufruit appartiennent au propriétaire (sans récompense de part ni d’autre des labours et des semences…).

Cette règle, surtout en ce qu’elle exclut toute indemnisation des frais engagés en vue de la récolte, n’a pas de justification théorique. Elle ne procèderait que d’une volonté de simplification. Aussi n’est-elle pas transposable à d’autres situations juridiques.

Mutation de propriété intervenant en cours d’année culturale :

Lorsqu’une parcelle est vendue, la récolte à venir l’est avec, sauf convention contraire.

Si la mutation intervient à une date proche de la vendange, il n’est pas interdit de penser que la présence d’une récolte pendante donne une valeur supplémentaire à l’immeuble.

Sur le plan fiscal, si le cédant perçoit, en sus du prix de vente, une indemnité destinée à compenser la perte des avances aux cultures ou de la récolte non levée, cette indemnité doit être prise en compte dans le bénéfice agricole même si les terres figurent dans le patrimoine privé [6].

Il en est de même si l’exploitant cède seulement les avances aux cultures à un nouvel exploitant, par exemple une société à laquelle il transfère l’exploitation.

Depuis que l’article 72 A du code général des impôts prescrit l’inscription des avances aux cultures en stocks (depuis le 1er janvier 1984), leur cession s’analyse en une cession de stocks [7].

Evidemment, la valorisation de ce « stock » peut faire l’objet de discussion lorsque la cession intervient à la veille des vendanges, particulièrement si elle est volontaire. L’administration fiscale est parfois tentée de valoriser la récolte pendante au-delà du simple coût de revient des avances aux cultures. Par exemple en cas d’apport en société. Dans le passé, la Cour administrative d’appel de Nancy [8] a écarté les prétentions de l’administration qui considérait qu’eu égard à la date à laquelle avait été fait l’apport, la cession des avances aux cultures constituait en réalité une vente de récoltes sur pied qui devait être évaluée à son prix de vente diminué du coût de l’opération de récolte. Mais l’argument retenu par la Cour se réfère à l’ancien régime fiscal des avances aux cultures :

Considérant d'une part qu'il résulte des dispositions précitées de l'article 38 sexdecies D bis du code général des impôts, dans sa rédaction alors applicable, que les avances aux cultures ne constituent pas un élément d'actif mais des charges déductibles lors de leur réalisation ; que par suite leur montant se limite à celui des frais effectivement exposés ; que d'autre part, la doctrine administrative sus rappelée dont se prévaut M. Godet, définit l'apport en société des avances en culture comme un remboursement de charges et ne prévoit aucune exception à cette règle pour les avances consenties pour des cultures dont la récolte doit intervenir peu de temps après l'apport.

La transposition de cette solution sous l’actuel régime fiscal des avances aux cultures n’est donc pas évidente.

Enfin, lorsque la récolte pendante est valorisée à l’actif successoral de l’exploitant décédé quelques jours avant les vendanges, et que cette valeur est soumise aux droits de mutation par décès, elle constitue le prix de revient de la récolte pour les parents héritiers qui ont repris l’exploitation et procédé eux-mêmes à la récolte [9].

En présence d’un locataire:

La récolte revient au locataire en place au moment où elle est levée. L’article L. 415-1 du Code rural, par renvoi à l’article 1777 du Code civil, règle la période de transition entre deux locataires, permettant au sortant de faire les récoltes de l’année et à l’entrant de commencer les travaux nécessaires à la récolte suivante.

Un preneur ayant donné congé à effet du 1er janvier 2004 peut néanmoins procéder en juillet 2004 à la récolte des terres ensemencées en septembre 2003 (CA Besançon 12 janvier 2005, rôle n° 04/01750, JurisData 2005-265197, Greusard, c/ GAEC des Essards).

Mais ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque l'occupation des lieux se poursuit à la suite d'une décision de justice ordonnant une expulsion ; dans cette hypothèse, le bailleur est propriétaire des produits de sa terre à compter du lendemain du jour pour lequel le départ du fermier a été ordonné [10].

Et lorsqu’un congé a été donné plus de quatre années à l’avance pour l’échéance du 30 mai 2004, le preneur n'est pas fondé à prétendre à une indemnité en réparation de la perte des vendanges 2004 [11].

Enfin, après avoir donné en location une vigne quelques semaines avant la vendange, un bailleur réclamait à son nouveau preneur le paiement de cette vendange, déduction faite du coût de cette vendange. A tort, selon la Cour de cassation, faute d’accord contractuel sur ce point ou d’usage local constaté [12]. La cour de renvoi ajoute que l’article 1777 n’a vocation à régir que les rapports entre fermiers entrant et sortant [13].

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1. Cf. JurisClasseur Notarial Formulaire > V° Ventes amiables de meubles, n° 7 : la règle de l’article 520 ne s’appliquent qu’aux récoltes appartenant au propriétaire du fond. Les récoltes du fermier, bien que toujours fixées aux arbres et attachées au sol, n'en rentrent pas moins dans la catégorie des meubles (Aubry et Rau, Cours de droit civil français, t. II, 7e éd. par P. Esmein, § 164, texte et note 1,4).

2. CA Rennes, chambre 1, 8 juillet 1981 : JurisData n° 1981-040544. Mais contra : CA Rennes, chambre 6, 7 juillet 1981 : Juris-Data 1981-040721. Vis-à-vis des tiers, l’opposabilité d’un transfert de propriété des récoltes avant leur détachement du fonds est moins évidente : Cf. JurisClasseur Notarial Répertoire > V° Biens > Fasc. 20 : BIENS, n° 104 et s.

3. CA Rennes, chambre 1, section A, 24 novembre 1996 : JurisData n° 1996-048969.

4. Article 134 du décret n° 92-755 du 31 juillet 1992 : Les récoltes sur pieds appartenant au débiteur peuvent être saisies dans les six semaines qui précèdent l'époque habituelle de la maturité.

5. JurisClasseur Procédure civile, Fasc 2370, n° 7. Lorsque le débiteur est un métayer, sa propriété n’est que d’une quote-part de la récolte qui se trouve donc indivise entre le métayer et le propriétaire. Le second alinéa de l'article 815-17 du Code civil interdisant au créancier personnel d'un indivisaire de saisir les meubles indivis, la récolte ne peut faire l'objet d'une saisie sur pied, sauf si la créance résulte de la conservation ou de la gestion des biens indivis « (ibidem, n° 12).

6. CE 8 novembre 1989, n° 54527 (En vain le contribuable soutenait que l’ensemble était la contrepartie de la cession de l’immeuble et devait être appréhendé sous l’angle de la fiscalité privée). Et en cas d’expropriation : BOI 5 E-3-01.

7. RM Evin n° 49443, JOAN 12 novembre 1984, p. 4951.

8. CAA Nancy 5 février 1991, n° 89NC00552, Godet .

9. CE 17 novembre 2000, n°194968 (Pointillart).

10. Cass. 3e civ., 29 avr. 1986, n° 85-10261 : JCP N 1986, II, p. 207, n° 4.

11. Cass. civ. III, 1er octobre 2008, n° 07-16273.

12. Cass. civ. III, 5 mars 1997, n° 94-21781.

13. CA Bordeaux 10 janvier 2000, Jurisdata n° 2000-106729